Numéro |
Thérapie
Volume 62, Numéro 5, Septembre-Octobre 2007
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Page(s) | 417 - 425 | |
Section | Évaluation du médicament/Drug Evaluation | |
DOI | https://doi.org/10.2515/therapie:2007072 | |
Publié en ligne | 19 janvier 2008 |
Comment anticiper l'évaluation de l'intérêt de santé publique des médicaments ?
1
Institut Phisquare, Fondation Transplantation, Besançon, France et Unité de
Thérapeutique, Université de Franche-Comté, Besançon, France
2
Direction du Développement Clinique, Sanofi-Aventis, Gentilly, France
3
Département de Pharmacologie Clinique EA643, Faculté RTH
Laennec, Lyon, France
Reçu :
30
Septembre
2007
Accepté :
5
Octobre
2007
L'intérêt de santé publique des médicaments (ISP) est un critère d'évaluation récent (décret d'octobre 1999) et spécifiquement français qui, faute d'éléments disponibles au moment de son appréciation, reste à ce jour souvent incomplètement documenté dans les dossiers de transparence. En effet, lors de la demande de première inscription d'un médicament sur la liste des spécialités remboursables, les données cliniques dont on dispose sont en général les seules contenues dans le dossier d'enregistrement. Ces données sont issues d'un programme de développement désormais global, construit bien longtemps avant le dépôt du dossier d'inscription au remboursement, qui ne prévoit pas de façon systématique de renseigner les données nécessaires à l'évaluation de l'ISP. On comprend donc la difficulté d'anticipation et de documentation de ce critère récent et hexagonal. En France, l'ISP est à la fois l'un des critères d'admission au remboursement des médicaments et un élément de pilotage d'une politique de santé nationale. Son évaluation permet par ailleurs d'identifier les besoins et les objectifs des études post-inscription qui font l'objet d'une clause conventionnelle lors du passage au Comité Économique des Produits de Santé (CEPS). Située en aval de l'évaluation de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), l'évaluation du critère ISP lui fait suite et la complète. Pour comprendre comment anticiper l'évaluation de l'ISP des médicaments, il faut prendre en compte ce qui le distingue de l'étape préalable de l'AMM. Tandis que l'évaluation en vue de l'AMM cherche à déterminer si le médicament est potentiellement utile dans une indication donnée, l'évaluation de l'ISP cherche à quantifier l'importance du service que ce médicament peut rendre à une population donnée, compte tenu des meilleurs traitements disponibles dans cette population. Alors que l'AMM est octroyée au vu des données de l'enregistrement qui renseignent sur le bénéfice clinique du médicament dans une population limitée qui est celle des essais et dans des conditions d'un essai thérapeutique, l'ISP s'interroge sur l'effet de ce médicament à l'échelle d'une population générale, dans la vie réelle. Les composantes de l'ISP d'un médicament pour lequel une première inscription est sollicitée sont la réponse attendue de ce médicament pour couvrir un besoin de santé publique, son impact attendu sur l'état de santé de la population et éventuellement sur le système de santé. L'impact d'un médicament sur la santé d'une population doit être mesuré sur des critères de santé publique qui peuvent être selon les cas des critères de morbi-mortalité et/ou de qualité de vie. Or, peu de médicaments comprennent d'emblée dans leur dossier d'enregistrement des données portant sur ces critères et l'on ne connaît pas toujours suffisamment la valeur prédictive des critères intermédiaires utilisés dans les essais pour permettre de quantifier le bénéfice attendu sur ces dits critères. De plus, il est rare de disposer de données permettant de quantifier l'effet du médicament selon les différentes caractéristiques de la population cible. Enfin, il est fréquent de ne pas disposer au moment de l'évaluation de données épidémiologiques précises de la population française correspondant à l'indication du médicament. Dans ces conditions, il est ainsi difficile d'estimer le nombre attendu d'évènements évités grâce à la mise à disposition d'un médicament. Pour mieux documenter l'ISP, les membres de la table ronde ont suggéré : (i) d'adapter le plan de développement clinique en particulier en intégrant, parmi les critères de jugement des essais, des critères pertinents en termes de santé publique et en veillant à une hétérogénéité suffisante des populations incluses dans les essais ; et (ii) de chercher à recueillir suffisamment tôt des données épidémiologiques nationales fiables ainsi que les éléments nécessaires à l'estimation de la transposabilité des données des essais à la population cible française (capacité à repérer les patients à traiter, adaptation du système de santé...). Concernant les données épidémiologiques, les membres de la table ronde ont considéré que les besoins étaient diversement couverts selon les pathologies. Pour répondre aux besoins d'estimation des populations cibles des médicaments dans des indications précises, ils ont suggéré de recourir autant que de besoin à des études ad hoc. Par ailleurs, les études épidémiologiques à visée de marché, sous réserve d'une méthodologie acceptable ne devraient pas être rejetées systématiquement et mériteraient d'être présentées. Pour pouvoir estimer la taille de l'impact théorique attendu d'un médicament en population, les membres de la table ronde ont souligné la nécessité de disposer de résultats d'études ayant des critères adaptés à ces objectifs. Dans un premier temps, ils ont suggéré de réaliser un travail consensuel de définition des critères par pathologie. D'une discussion sur la représentativité des populations, il est ressorti qu'il serait souhaitable mais illusoire d'inclure dans les essais une population parfaitement représentative de la population à traiter. L'effet du médicament doit donc être modélisé (modèle d'effet) pour pouvoir être estimé pour l'ensemble de la population. Or, pour pouvoir disposer d'un modèle d'effet fiable, il faut que la population incluse soit suffisamment hétérogène, d'où la demande d'influer sur l'hétérogénéité des populations lors de la décision méthodologique des essais. Lorsque le critère évalué au cours du développement ne correspond pas au critère d'ISP, la seule façon d'estimer le nombre d'évènements correspondant au critère d'ISP est de recourir là encore à la modélisation, celle-ci n'étant toutefois possible que lorsque la littérature scientifique a établi un lien fiable entre les deux critères. Dans ce cas, c'est ce nouveau modèle qui devrait être appliqué à une population française cible pour estimer l'effet attendu. En conclusion, les possibilités d'estimer l'impact attendu des médicaments sur la santé d'une population donnée sont actuellement limitées. Ces limites paraissent d'autant plus regrettables qu'une telle estimation est possible et réaliste sans nécessiter le bouleversement des plans de développement. Les suggestions générales de modifications des plans de développement proposées par les membres de la table ronde ont paru d'autant plus recevables que les ajouts demandés ne devraient pas bénéficier seulement à la France mais à toutes les autorités de santé des pays qui souhaiteraient estimer l'impact attendu d'un médicament sur leur territoire. Anticiper les besoins en termes de compléments de données cliniques, épidémiologiques et de données permettant de juger de la transposabilité des résultats des essais à la pratique clinique est une condition sine qua non à l'amélioration des possibilités d'estimation de l'ISP. L'anticipation de ces besoins devrait être effectuée suffisamment tôt par les entreprises pharmaceutiques qui devraient bénéficier d'une concertation avec les autorités de santé et avec les responsables de la politique de santé publique français. Par ailleurs, en raison de sa vocation universelle il a été proposé que les démarches et publications nécessaires soient entreprises afin que le critère ISP soit reconnu au niveau européen.
Mots clés : médicament / santé publique / bénéfice / impact / évaluation / remboursement / anticipation / Commission de la Transparence
© Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique, 2008